Patrimoine oublié

Hors des lieux de passage mais pourtant si près de vous, des mondes oubliés subsistent.

Arrêtez-vous et regardez les, ces ruines que nous avons pris l'habitude de ne plus voir.
Vous découvrirez des architectures imposantes rongées par le temps.
Vous observerez la végétation qui poursuit sa reconquête au fil des saisons.
Vous ressentirez le calme assourdissant qui règne dans ces sanctuaires.

Ces édifices, balayés par les courants d'air, sont déserts. Ils conservent cependant les traces de l'activité humaine passée.
L'imagination aidant, les anciens occupants reviendront. Avec vous, ils déambuleront parmi ces vestiges qui furent leur quotidien et souvent leur fierté.
L'espace d'un instant, remontons le temps et redonnons vie à ces lieux pétrifiés.

L'oubli et la décrépitude ont offert une nouvelle majesté à un patrimoine qui se désagrège.
Visitons le une dernière fois avant qu'il ne redevienne poussière.

Un souffle léger gravit l'admirable spirale d'un escalier qui l'emmène vers les hauteurs. Il se mue alors en vives rafales lorsqu'il atteint la salle d'observation et s'échappe par les fenêtres éventrées.
C'est désormais le seul bruit qui résonne encore dans la tour depuis le départ de la vigie. Elle qui veilla pendant des décennies sur la frontière avec les territoires sauvages est désormais devenue inutile.

Nous voici de retour dans l'autre univers, celui de l'obscurité et de la pierre, du silence et de l'oubli.
Au travers de galeries chaotiques, quelques passages parfois inondés par le goutte à goutte des infiltrations mènent à des vestiges corrodés d'anciennes champignonnières. Le matériel est resté en place depuis des décennies, transformé en structures énigmatiques qui tombent en poussières.

Accordez-moi un court instant pour partager avec vous un sentiment qui ternit parfois mes incursions dans ces sites en déshérence. L'atmosphère très particulière qui règne dans les territoires industriels oubliés provoque souvent, il me semble, une augmentation du champ de perception. Aux images qui s'offrent à moi viennent se superposer des sensations qui surgissent d'un passé vaguement familier mais qui, je le sais, ne m'appartient pas.

Au delà de l'ancien portail ouvragé, le sentier secret mène à un écrin de quiétude. Là, lové au sein d'un bois protecteur, le petit château contemple sereinement l'océan de blé qui inonde son domaine.
Des vents chauds et réguliers transforment la campagne en une belle surface miroitante parcourue de vagues qui s'évanouissent dans un brumeux lointain. Une fenêtre brisée, des volets béants et un jardin en friche sont autant d'indices d'une ancienne désertion des lieux pourtant, malgré l'absence de tout occupant, le château résiste vaillamment aux assauts du temps.

Je vous parle d'un endroit qui altère la frontière entre rêve et réalité et entraîne la conscience sur des terrains inconnus. Ce royaume d'un vert chlorophyllien, humide et éclatant, est celui des végétaux dans lequel je m'enfonce avec délice. Au sein de cet Eden ignoré, la nature et l'humain se réconcilient et s'unissent dans une étreinte harmonieuse et sensuelle que j'observe avec une fascination teintée d'envie.

La fantastique structure est profondément ancrée dans le sol de la plaine. Ses parois s'élancent si haut à l'assaut du ciel que la végétation chétive a renoncé à coloniser le géant. Aucune vapeur, aucun signe d'activité n'indique qu'il ait un jour traversé l'espace. Depuis combien de millénaires ce gigantesque vaisseau est-il immobile, attendant une remise en route des réacteurs?

Sitôt franchi le seuil de ces mondes, il quitte l'univers connu pour devenir le souverain d'un étrange royaume sans sujet. Un royaume silencieux qui n'est pourtant pas inerte et qui lui transmet les souvenirs et la nostalgie de temps disparus. Ces endroits désertés, il les connaît par cœur. Il les recherche même, ensorcelé par les visions qu'ils lui procurent, répondant à un appel que lui seul peut entendre.

Le temps du silence qui régnait ici depuis longtemps touche maintenant à sa fin. Les instruments sont prêts, les musiciens fantomatiques sont en place et guettent le signal. Derrière la colline, un lointain murmure vient de naître.
L'ouverture est longue, simple et discrète. Les lueurs de l'aube ont réchauffé les tuiles et dilaté la charpente qui craque doucement, rompant parfois le leitmotiv du chant des tourterelles. Les arbres caressés par les vents bruissent faiblement.
Ce matin pourrait ressembler aux matins ordinaires dans une demeure poussiéreuse mais un calme inhabituel présage d'un trouble imminent. La lumière devient verdâtre puis décline, chassée par les sombres nuées qui enveloppent le château. La force des vents s'accroît, annonçant l'arrivée de la grande tempête.

On franchit le seuil de cet univers en silence tant la majesté de l'endroit impose l'humilité. Là plus qu'ailleurs, il est étrange de constater que l'homme a jadis déployé des efforts titanesques pour creuser pendant des années ce labyrinthe ténébreux. Quelle divinité désormais déchue a pu justifier la construction d'un tel cénotaphe?

Heureux ceux qui ont l'âme simple et dont la foi balaye toutes les incertitudes.
La voie vers la délivrance semble dénuée d'obstacle et les sombres chemins de traverse défilent sans un regard.
Il est dit qu'ils connaîtront la joie et la radieuse lumière de l'apaisement. Il ne peut donc en être autrement.
Heureux ceux pour qui la foi triomphe des autres vérités et qui n'ont pas conscience d'un inéluctable destin.


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