Encore une fois j'éprouve ces sensations attirantes. S'introduire dans ces lieux oubliés se fait toujours en silence, l'oreille en alerte, à l'écoute des sons qui pourraient trahir une présence. Le froissement d'un voilage prés d'une fenêtres brisée, le grincement d'un gond dans les étages ou la pluie qui traverse une charpente éventrée viennent ranimer les craintes d'une rencontre. Mais l'attrait de l'inconnu et l'envie d'explorer ces espaces abandonnés sont plus forts.
Les galeries d'art
Quelle belle aventure que la découverte de ces trésors méconnus ! Qui soupçonnerait ce que dissimule la petite ouverture cachée au milieu du bois ?
La nuit est tombée, je franchis le passage vers un monde insolite qui m'est pourtant devenu familier, celui du silence, des ténèbres et de l'envoutante odeur du calcaire. Encore quelques pas et, devant moi s'ouvrent les galeries tentaculaires qui s'entrecroisent, montent, plongent vers les profondeurs, se muent parfois en un chaos de piliers effondrés puis deviennent d'élégants escaliers taillés dans la roche. Ce dédale est complexe et fascinant, mais ce sont surtout les œuvres qu'il abrite qui le rendent exceptionnel.
Fugit irreparabile tempus
Je me tiens immobile, saisi par le silence de ces sombres couloirs. Ils abritent la conclusion de traversées ordinaires, d'extravagantes existences ou, peut-être, d'interminables épreuves... Pour tous, l'oubli commence ici, lent mais certain. Dans ces froides profondeurs, les corps inertes sont désormais réunis sur la voie d'un ailleurs espéré.
Quelle vertigineuse sensation de contempler les quelques mots gravés sur une dalle, qui constituent l'ultime et singulier témoin des esprits qui vécurent autrefois.
L'absence
La demeure pétrifiée recèle une énigme que la pénombre semble retenir à dessein. Au travers du faisceau de la torche, les objets émergent et dévoilent des secrets poussiéreux et lourds, des résurgences du passé, comme autant de révélations qui retournent aussitôt au sommeil, à l'oubli, au néant.
Je gravis l’escalier, un tableau austère m'hypnotise, le regard du prêtre me suis et je sens, au seuil de la perception, cette présence qui s'éveille. Et surtout, j'entends Les Voix. Les Voix sont nombreuses mais furtives, elles m'enveloppent et me pénètrent. Elles hurlent leur détresse et me racontent les infortunes, la nostalgie du faste, le déclin et les pleurs, la maladie puis la douleur de l'absence. Le temps s'est figé sur les derniers instants qui précédent l'extinction de la conscience, ce moment précis où l'être bascule dans l'autre univers et abandonne derrière lui les biens matériels.
Là où allaient les pères
Je m'immerge dans le royaume de l'acier pur et absolu. Il est omniprésent, en milliard de particules qui dansent un ballet scintillant. La fine poudre noire caresse mes doigts, sature ma langue de ce goût métallique obsédant.
Dans l'ancien temps, celui où les pères gagnaient ici le salaire d'une famille, l'acier liquide alimentait des creusets démesurés et les torpilles transportaient leur fournaise le long de cette coulée continue de métal en fusion, ce déchainement de feu, ces forges de l'enfer.
Spélégérie
La fin de l'été prélude à l'explosion des couleurs qui métamorphoseront la forêt en un flamboiement d'ors et de rouges. Il règne encore une douce chaleur qui enveloppe le pied de la falaise à laquelle mène un sentier abrupt.
D'une large déchirure dans la paroi, un air froid prépare déjà ceux qui vont plonger vers la cavité à la découverte d'un monde inattendu, sombre et confusément hostile.
La grotte est démesurée, la lumière s'y perd rapidement et laisse place à la nuit. Quelques vestiges du passé apparaissent. Des passerelles de bois que l'humidité et les moisissures achèvent de désagréger, s'accrochent encore aux parois ruisselantes.
Et facta est lux
Quelle sensation rare que ce passage furtif dans ces univers que je côtoie depuis si longtemps. Je devrais probablement m'affliger de ce qui n'est plus que ruine et déchéance. L'image de plafonds éventrés, d'un mobilier ravagé, d'une demeure promise à un sombre destin devrait-elle me troubler?
Il n'en est rien. Ici, je suis en paix, seul au monde. Dans ces havres de sérénité, chaque son est un intrus pour ma conscience qui se dilue avec délice dans une fascinante contemplation.
Les belles délaissées
Sitôt l'obstacle d'épines, d'échardes et de pièges végétaux franchi, j'accède à un autre univers, isolé des regards. Je marche sur un sol moite et glissant, couvert d’une mousse qui sature l'air d'une odeur puissante. Un brouillard de fines gouttelettes enveloppe ce fragment de jungle dans lequel se dissimulent quelques princesses qui resplendirent en des temps révolus.
Du cristal et des ombres
Mes doigts tracent des sillons noirs dans la poudre qui recouvre toutes choses.
Je me tiens dans un univers de poussière, une poussière fine et sèche, qui s'illumine pourtant d'éclats merveilleux. Quelques rares rayons solaires parviennent à franchir la végétation dense, traversent la crasse des fenêtres et atteignent les œuvres des anciens artisans de la lumière. Le trait lumineux percute le cristal et explose en couleurs qui éclaboussent les murs ou se perdent dans les ombres.