Depuis des heures les grands oiseaux majestueux glissent sur les ailes du vent, d'un vol rapide qui les porte vers une destination gravée dans leur mémoire ancestrale.
Les plumes bruissent à peine lorsque le groupe vire et s'élève en une large spirale enlaçant des courants thermiques. De rares et amples battements d'ailes viennent ponctuer l'ascension et les puissants cris rauques colportent à des kilomètres la nouvelle: la grande migration des grues cendrées est en cours.
Loin à l'horizon, une lueur perce la brume matinale. Le soleil levant vient de frapper les murs immaculés d'une belle demeure nichée prés d'un lac. Ce repère est depuis des générations le phare terrestre qui balise le parcours des grands voyageurs aériens. Leur vol puissant les conduit vers la lumière et là, à quelques centaines de mètres sous les ailes frémissantes, se dévoile un domaine mystérieux entouré d'un jardin où les bassins scintillent.
Ce qui à grande distance semblait être un lieu prospère et vivant n'est cependant plus que l'ombre de ce qu'il fut. C'est un joyau terni qui repose ici et la parure de l'abandon le recouvre depuis des années.
Les lueurs de l'aube viennent réchauffer le domaine, la lumière dorée caresse les sculptures et illumine un monde endormi recouvert de poussière. Les plafonds éventrés témoignent de la fournaise qui jadis dévora l'édifice. Les cris des oiseaux franchissent les fenêtres brisées, traversent les salles vides et viennent mourir dans le superbe escalier de pierre qui, seul, résista au brasier.
L’ombre de la migration recouvre un instant le château puis les oiseaux argentés s'éloignent rapidement, dessinant dans l'espace leurs calligraphies aériennes. Ils poursuivront leur périple, toujours plus loin, au delà des sommets enneigés qui resplendissent à l'horizon et masquent les régions chaudes, terme de leur voyage.