Le Plan "A"
Le brouillard et le froid nous préparent à la plongée sous terre. Un petit chemin descend à flan de falaises. Des ouvertures murées apparaissent puis, enfin, une superbe entrée s'offre à nous.
Hélas, il apparaît que le réseau a été injecté et muré. Hormis quelques peintures rupestres qu'on pourrait estimer de la fin du mois dernier, pas de quoi nous émerveiller.
Nous fouillons les environs à la recherche d'autres ouvertures.
L'une d'elle est masquée par un amoncellement de branchages entassés au fil des ans. Impossible de se faufiler à travers l'enchevêtrement. Nous retournons donc sur nos pas et découvrons une nouvelle ouverture masquée par les buissons. L'espoir revient.
Nous pénétrons dans la cavité, mais la difficulté de progression est assez décourageante: l'espace sous plafond dépasse à peine 1 mètre nous obligeant à progresser en crabe. Le trépied photo et le sac à dos ne font aucun effort pour nous aider et la fatigue arrive rapidement. Après une progression sur quelques centaines de mètres, il faut s'avouer vaincus: les différents embranchements du réseau sont bloqués par des injections qui anéantissent nos espoirs d'aller plus loin. Retour en arrière, direction le plan "B".
Le Plan "B"
L'arrivée est impressionnante. Nous sommes au centre d'un demi-cercle de falaises trouées d'énormes ouvertures. Parmi la dizaine d'entrées disponibles, nous choisissons la plus grande dont les portes métalliques qui barraient le passage sont à terre, peut-être victimes d'une tempête.
La lumière du soleil éclaire encore le chaos de roches qui masque le développement du réseau. A l'entrée, une profonde et belle inscription dans la pierre semble avoir une signification qui m'échappe mais qui me fait penser aux récits de Lovecraft. L'imagination s'invite à l'exploration, c'est bon signe.
Nous avançons pendant une centaine de mètres et déjà la lumière du jour disparaît, laissant la place à la lueur blafarde des lampes frontales. Une lueur qui ne dévoile que les alentours immédiats et laisse le reste dans l'inconnu.
Quelques chauve-souris immobiles au plafond constituent l'unique présence animale encore perceptible. Nous commençons à nous enfoncer dans les galeries. La hauteur du plafond est très variable, allant de deux mètres à plus d'une dizaine de mètres. Ce plafond est constellé de taches sombres provenant des chandelles des carriers, puis des lampes à carbure ou à pétrole remplacées par les lampes à acétylène au XIXème siècle.
A quelques centaines de mètres de l'entrée, nous découvrons les restes d'un véhicule difficile à identifier tellement la corrosion a rongé le châssis.
Quelques photos plus tard, nous commençons à vraiment pénétrer dans ce qui se révèle être un vaste réseau avec de multiples embranchements. Il est maintenant temps de prendre quelques précautions et repères pour retrouver le chemin de retour. Les murs sont parsemés de sigles, de calculs (les carriers comptabilisaient ainsi les pierres extraites) ou de nom de "rues".
Ce réseau fait en effet fortement penser à une ville avec des voies et des impasses. Les piliers tournés sont marqués de chiffres et symboles qui font partie du système de cartographie utilisé pendant les centaines d'années d'exploitation des galeries.
Nous nous arrêtons pour manger dans une belle salle où la flamme vivante des bougies apporte une ambiance chaleureuse. Le silence autour de nous, l'absence de lumière naturelle et la sensation d'isolement contribuent à cette atmosphère très particulière.
Nous reprenons la route pour découvrir peu après un second véhicule lui aussi dans un état très avancé de dégradation. Ces rencontres improbables au fond d'une carrière sont surprenantes mais sont aussi l'occasion pour nous de tester nos idées d'éclairages farfelus pour obtenir la photo inattendue. La pratique de la photo en carrière est difficile mais très intéressante car elle demande une bonne maîtrise de l'appareil photographique ainsi qu'une réflexion poussée sur les jeux de lumière à mettre en Oeuvre.
Près du véhicule, nous rencontrons une machine à laver dont la présence est encore plus inexplicable que celle du véhicule.
Cela fait maintenant plusieurs heures que nous progressons dans le labyrinthe. Les rues se succèdent, les changements de niveaux accroissent la complexité du réseau. La notion du temps s'estompe.
De nombreuses ouvertures que nous laissons dans l'ombre, donnent accès à d'autres parties du réseau. Celles-ci seront l'occasion d'autres sessions pour découvrir ces parties inexplorées.
Un puits révèle des niveaux inférieurs. Nous l'empruntons, puis entendons au loin des bruits stridents. Quelques secondes d'attente pour comprendre quel est l'origine de ce vacarme. En avançant de quelques mètres, nous tombons sur une salle où des centaines de chauve-souris couvrent le plafond, le transformant en un soyeux tapis de fourrure. Assez étonnement pour la saison, ces animaux sont éveillés et filent avec précision dans le noir complet. Nous revenons sur nos pas pour ne pas perturber le cycle de vie de ces animaux.
Les galeries défilent, révélant des vestiges de cultures de champignons.
Tout à coup, la lumière des frontales fait sortir des ténèbres des sculptures oubliées.
Ces sculptures sont proches d'un puits d'extraction qui permettait de remonter à la surface les pierres arrachées à la paroi. Ce conduit d'une vingtaine de mètres de haut laisse entrevoir des galeries au dessus de nous. Un rayon de soleil filtre loin hors de notre portée.
Nous sommes maintenant très éloignés de l'entrée et la prudence est plus que jamais nécessaire. Il devient difficile de résister à l'envie de continuer davantage pour découvrir le réseau. Nous descendons des pentes qui nous conduisent toujours plus profond. Il est étrange d'imaginer les carriers extrayant d'énormes blocs de calcaire toujours plus loin de l'entrée. Nous devons être à une trentaine de mètres sous terre et nous poursuivons la descente.
Un fil d'Ariane apparait au détour d'un couloir et disparait dans les profondeurs.
Malgré notre envie de découverte, il faut se rendre à l'évidence, ce réseau ne pourra être totalement exploré aujourd'hui et l'entrée est maintenant très loin. Nous décidons de faire demi-tour.
Les souvenirs de chacun sont mis à contribution et nous retrouvons les marques que nous avions repérées à l'aller.
Après plus de cinq heures passées sous terre, une lueur nous attire et nous émergeons non loin de l'entrée initiale. Le coucher du soleil illumine les falaises de ses derniers rayons. Nous sommes revenus au centre principal de la carrière, là ou des dizaines de galeries débutent et promettent de nombreuses explorations à venir ...